Nombreux sont ceux qui prétendent qu’internet est libre, démocratique, transparent et impartial. D’autres en font un outil tellement révolutionnaire qu’il pourrait renverser l’ordre établi grâce à des mécanismes de participation directe, populaire et généralisée à la vie politique. D’autres, enfin, affirment que la diffusion gratuite de l’information sur les réseaux sociaux affranchira de l’influence des grands groupes médiatiques.
Toutes ces idées reposent sur des prémisses fallacieuses. Non ! La gratuité n’est pas la liberté ! Une fois la confusion dissipée, plusieurs questions s’imposent : qui détient les données des utilisateurs ? Comment sont-elles utilisées ? A quelles fins ? Les technologies de l’oppression ne visent qu’une chose : nous libérer de la liberté. Plus elles nous connaissent plus leurs algorithmes s’affinent, et plus elles veulent nous libérer du fardeau de choisir.
Mais il est encore temps de réagir ! Nous pouvons décider d’en finir avec la délégation et nous organiser autrement, en construisant et en élargissant des sphères d’intimité nous protégeant des injonctions à l’obscénité automatisée, à la pornographie émotionnelle et à la transparence radicale.
IPPOLITA (groupe de recherche interdisciplinaire créé en Italie en 2004)
Editions de la Différence – 2016
Avec l’arrivée et le développement d’Internet un nouveau mythe était né, celui d’une croissance illimitée. Si toute innovation technique a des implications sociales, ces dernières n’ont pas été approfondies au profit d’une satisfaction immédiate de l’utilisateur : simplification, coût réduit,… Ainsi on a laissé prospérer les géants de la Silicon Valley qui veulent dominer le monde par une hégémonie informatique mondiale.
Les mouvements politiques récents à gauche comme à droite se sont appuyés sur les réseaux sociaux. On a vu apparaître « une participation masssive en ligne ». Pour les auteurs, « les vrais meneurs sont ceux qui se changent de l’aspect technique des réseaux sociaux, ceux qui peuvent contrôler le flux des informations. »
C’est à partir de tous ces faits que les auteurs nous invitent à nous libérer de cette « informatique de la domination », même si les voies de la liberté peuvent coûter cher, afin de réfléchir à la compréhension du pouvoir et sa transformation en domination. Leur verdict est péremptoire après un long préambule : « Internet est libre et démocratique : faux ! »
Les technologies numériques ont offert au capitalisme un nouveau champ d’expérimentation et de développement caractérisé par une absence quasi totale de règles : Internet. Il a permis l’apparition d’un nouveau modèle fondé sur une ressource inépuisable : la capacité humaine à communiquer et à produire du sens.
Il s’agit d’un système complexe et peut-être plus encore que l’individu ordinaire ne peut l’imaginer. Les GAFA possèdent les codes sources des programmes que nous utilisons, les informations que nous leur fournissons et même la main d’œuvre pour assurer le fonctionnement permanent de l’ensemble.
Ces nouveaux maîtres du monde ont surtout façonné une mentalité une certaine vision du monde. Chaque jour ils prêchent la bonne nouvelle du Web 2.0 notamment celle d’un renouvellement de la démocratie où l’on vend « la transparence totale » dans la « République des algorithmes ».
Selon les auteurs, tout ceci ne serait que pur mensonge.
La plupart des réseaux sociaux ont été créés pour gagner de l’argent et non pour créer un dialogue démocratique, international et interculturel. Même si on admet ce postulat que « l’information rend libre », la réalité est bien plus complexe et prétendre qu’Internet est « par essence » libre et démocratique est fallacieux. Sur le plan politique, par exemple, il est très difficile de déchiffrer les intentions profondes des « mouvements 2.0 », qui mettent en avant la défense des libertés. L’ouvrage consacre de longs développements à l’influence des technologies sur la vie politique.
Prémonitoires, début 2016, les auteurs s’interrogent sur l’influence que Facebook pourrait avoir sur les prochaines élections américaines de novembre. En Chine, il est évoqué que l’immortel Parti communiste s’active pour créer une société heureuse dans le cadre d’un état policier high-tech, qui permettrait de neutraliser toute subversion hypothétique. C’est aussi le cas des anarcho-capitalistes, les libertariens, présentés comme les véritables visionnaires du monde à venir. En considérant la liberté comme une substance, un droit fondamental écrit dans le code génétique de l’homme, il est facile de comprendre l’hostilité des masses indignées à l’égard des États. Internet serait ainsi l’outil idéal pour tous les mouvements indignés et contestataires pour dominer les masses et eur faire croire au mythe de la participation : « nous sommes les 99% ».
Un chapitre entier est consacré au cas exemplaire du Mouvement 5 Étoiles (M5E) en Italie. Débuté en 2009 par la rencontre entre le comique Beppe Grillo et l’expert en communication Gianroberto Casaleggio, il remporte 25% des suffrages aux élections générales de 2013, 4 ans plus tard ! « Ni de droite, ni de Gauche, M5E chante les louanges de la démocratie 2.0. Selon les auteurs, le mouvement promet ce qu’il ne peut tenir car « aucun algorithme ne peut créer un monde commun dans lequel les individus seront libres et égaux ». [NDL : en mars 2018, M5E a recueilli 32% des voix et a accepté de s’allier à la droite radicale pour gouverner en juillet]
Les auteurs posent ensuite l’hypothèse qu’avec Internet et les technologies de l’Homme Augmenté, les individus deviennent – ou du moins agissent comme – des cyborgs. Leurs conclusions est qu’il est temps de déserter la société de la performance et de réagir contre les technologies de la domination des uns (et donc de la soumission des autres). De plus en plus de voix (politiques, économiques littéraires, sociales) s’élèvent pour gagner, au bénéfice des individus, la bataille de l’intelligence « artificielle ». « C’est aux GAFA de s’adapter aux règles des hommes, pas l’inverse » (Thierry Breton, PDG d’Atos, ancien Ministre).
Dans les travaux prospectifs de Futurouest, notamment sur l’avenir de la démocratie et dans les notes de lecture de ses adhérents, un rapprochement aussi radical que celui de l’illusion démocratique n’a jamais été fait. Pourtant dans la note de lecture du livre « La déconnexion des élites » de Laure Bellot, on pouvait lire : « L’Internet a contrecarré l’ordre établi, le pouvoir change de mains. Qui pose les limites dans ce monde, où quelques groupes privés surpuissants sont déjà plus influents que nombre d’Etats ? »
En faisant référence à la règle « Penser globalement, agir localement » en vigueur dans les milieux économiques (dirigeants, managers) et politiques ces dernières décennies, on peut dire que les GAFA en ont opéré un retournement en étendant leur hégémonie informatique. Il s’agit pour eux d’assurer une domination sur les acteurs locaux. La « pensée globale » est assurée par un pouvoir central dont l’existence est occultée. Les informations qu’il diffuse pousse insidieusement ces acteurs à agir selon les désirs du maître. La démocratie est renversée.
Renvois :
- FUTUROUEST : L’avenir de la démocratie – automne 2015
- NdL « La déconnexion des élites » – automne 2015
- Livre : « Cerveau augmenté / homme diminué ». Michel Benasayag – La Découverte – 2016
Pierre QUINQUIS