Le système français de protection sociale a permis de consolider la cohésion sociale, de lutter contre la pauvreté et d’amortir les effets dévastateurs de la crise actuelle. Mais, bâti sur le modèle d’un homme, chef de famille ayant en charge femme et enfants, il entérine les inégalités entre les sexes et néglige, voire pénalise, les évolutions de carrière.
Dessinant une nouvelle architecture pour la protection sociale, ce livre montre qu’il est urgent et possible de refonder ce système. Sa métamorphose doit s’appuyer sur l’exigence d’égalité des sexes, sur l’accompagnement de carrières diversifiées et sur l’investissement social en amont, en faveur des enfants et des jeunes, afin de garantir à chacun(e) le droit à une vie personnelle et professionnelle de qualité.
Cette seconde génération de droits sociaux combine protection et promotion sociale pour toutes et pour tous, afin de construire une société de semblables.
Bernard GAZIER, Bruno PALIER, Hélène PERIVIER
Science Po – 2015 – 200 pages
Le 1er chapitre fait le constat, dans un premier temps, du système de protection sociale français mis en place en 1945. Dans un pays ruiné par la guerre, il répondait à la nécessité d’accès pour tous aux soins de santé et à la retraite. Il était alors basé sur la répartition des rôles au sein de la société. C’est l’activité professionnelle du père de famille qui permet l’acquisition des droits sociaux étendus à tous les membres de sa famille. Pour encourager ce type d’organisation familiale, l’allocation de salaire unique est reprise en 1946. Elle vise à rétribuer l’inactivité des épouses en rapport de la configuration de sa famille.
Au fil des années, de nouvelles protections adaptées sont venues combler les lacunes constatées. Ainsi en 1958 apparaît l’assurance chômage, puis à partir de 1970, une série de nouvelles prestations sociales (toutes soumises à condition de ressources) : l’allocation pour orphelin, en 1972 l’allocation pour frais de garde des enfants, 1974 l’allocation de rentrée scolaire, puis l’aide au logement et l’allocation adulte handicapé en 1975.
C’est en 1976 que la loi introduit l’allocation de parent isolé (API), essentiellement des femmes élevant seules un jeune enfant. Enfin en 1978 la loi pose l’universalité de la sécurité sociale pour les personnes jusque-là non couvertes. Plus près de nous apparaîtront le RMI puis le RSA regroupement RMI et API.
Ce système a largement contribué aux progrès de la population française s’agissant des revenus des personnes âgées, des progrès de la médecine accessible à tous donc et de l’espérance de vie. Enfin ce système de protection sociale a permis de contenir les inégalités et limiter la pauvreté.
- Dans la seconde partie de ce chapitre, les auteurs de ce livre constatent pourtant « l’épuisement d’un cercle vertueux » à partir de la fin des années glorieuses.
« Depuis la fin des années1980, les réponses apportées en France encouragent le retour à la compétitivité par la baisse du coût du travail. La sécurité sociale est ainsi accusée de constituer un poids pour l’économie du fait de son mode de financement »
On assiste donc à des réformes qui ont pour but la réduction des charges sociales pesant sur les entreprises (exonérations des cotisations, réductions de l’accès aux prestations et baisses des montants du RMI puis du RSA)
Pour les mêmes raisons, dorénavant, c’est l’impôt qui assure le financement des prestations non contributives de la protection sociale (minimum vieillesse, CSG, CMU, assurances complémentaires) avec toutes les conséquences en termes de solidarité, de développement de l’individualisme, de redistribution des plus riches vers les plus pauvres.
« Aujourd’hui, ce qui fonde le droit à prestation sociale, c’est moins le statut de travailleur que le montant des cotisations qu’il a versées »
Parallèlement, le marché du travail s’est progressivement dégradé. C’est ainsi que les emplois « atypiques » se sont développés (intérim, CDD, emplois à temps partiel non souhaités) qui ont entraîné qu’un nombre croissant de situations d’emploi échappe à la protection du SMIC, enfin l’accroissement dévastateur du nombre de chômeurs.
A cette longue présentation liée en grande partie à l’évolution de l’organisation mondialisée de l’économie et, par voie de conséquence à la recherche sans fin de plus grande compétitivité, les auteurs décrivent l’ampleur des problèmes posés par la dégradation des conditions de travail et la recomposition des inégalités.
Situation globale répondant à la question initialement posée : « pourquoi faut-il repenser la protection sociale ? »
En conclusion de ce 1er chapitre, les auteurs de ce livre affirment la nécessité de mettre en place « un système social en phase avec son temps. »Titre que, personnellement, j’approuve, dans la mesure où il aura pour but de retrouver une réelle protection sociale au moins du niveau de celle que nous avons initialement connue.
« Il faut donc se recentrer sur les trajectoires de vie des personnes et les accompagner à chaque étape par des interventions se combinant de manière transversale et coordonnée, au lieu de se contenter de verser des revenus de remplacement. »
Cet objectif étant clairement défini, les auteurs, dans un 2ème chapitre proposent de « repenser les fondements et le redéploiement de la protection sociale »
Pour se faire, ils mettent en avant trois grands thèmes : les principes de justice, d’efficience et d’égalité ; une nouvelle grille de lecture des droits sociaux ; enfin, passer en revue les grandes orientations des dispositifs conçus à partir de cette nouvelle grille de lecture, tant en matière de finalités que de moyens.
Les bases d’une nouvelle égalité :
-Le principe de justice permettant à chacun d’effectuer des choix de vie et de carrière.
-L’égalité entre les sexes. La protection sociale, qui s’est appuyée sur l’ordre sexué, doit désormais le bousculer.
-La solidarité permettant de construire « une société de semblables » Cette expression recouvre le fait de traverser les mêmes situations de risque, donc la nécessité de les mutualiser, d’identifier leurs similarités et d’induire un accord pour s’assurer de manière collective et garantir à chacun un socle de droit.
- Il s’agit donc d’intervenir en amont. « Il s’agirait donc de préparer pour avoir moins à réparer »
Une nouvelle grille de lecture des droits sociaux :
Elle doit se fonder sur une vision individuelle des droits sociaux qui accompagne l’individu de sa naissance à sa mort, lui garantissant autant que possible, une autonomie économique »
Les auteurs considèrent que l’allocation universelle est « une fausse bonne idée ». Ils estiment que ce serait « un médiocre revenu de subsistance car politiquement impossible sans démagogie extrême d’exiger l’attribution automatique de l’équivalent du SMIC à tous. La stratégie principale pour assurer ces ressources relève d’une politique de l’emploi entendue au sens large. C’est la promotion d’un travail de qualité pour tous qui devrait assurer pour l’essentiel la continuité d’un revenu décent garanti »
« Reconstruire de nouveaux droits sociaux ne signifie pas défaire tout ce qui existe et mettre en place un système de protection sociale à partir de rien. »
C’est construire un monde où chaque citoyen bénéficie de droits sociaux en propre, sans avoir à dépendre de sa famille.
Le déploiement d’une logique d’égalité et de qualité :
Il s’agit de développer un socle universel non pris en compte actuellement: accès de tous aux réseaux de communication comme internet. Garantir l’accès à des soins de qualité et réorienter des pratiques médicales vers la prévention. Un logement de qualité accessible à chacun, le développement des transports collectifs et les nouveaux modes de transport, les services d’aide à la personne de qualité qui s’inscrivent dès la naissance dans le parcours individuel.
La liste des améliorations à apporter à notre système est longue, j’en cite les titres :
De l’école à l’entrée sur le marché du travail / La formation tout au long de la vie / Les droits à carrière et leur dynamique / La continuité et la portabilité des droits sociaux / Vers une assurance parentale.
Il s’agit donc, en conclusion de ce chapitre, de mettre en place une architecture de droits sociaux renouvelée.
Le dernier chapitre est consacré aux moyens à mettre en œuvre pour réaliser cet objectif que les auteurs qualifient de « nouveau contrat social »
En conclusion, la lecture de cet essai m’a particulièrement intéressé pour la description précise des principes fondateurs de notre protection sociale, des problèmes posés par l’évolution économique et sociétale de notre société et des moyens mis en place, qui nous le savons, ne sont pas des solutions satisfaisantes. Pourtant les propositions qui sont faites dans ce livre m’ont paru à la fois compliquées et, malgré une volonté affirmée de recherche d’égalité et de qualité, prises au piège d’un certain conservatisme qui contraint les auteurs à refuser la possibilité d’une société dans laquelle le travail rémunéré ne serait plus le seul mode de vie des citoyens et, par voie de conséquence, le moyen principal de financement de la protection sociale.
Renvois :
¤ Arnaud PARIENTY, Protection sociale : le défi – FW N°21.
¤ Louis CHAUVEL, Les classes moyennes à la dérive – FW N°22.
¤ Gosta ESPING-ANDERSEN, Trois leçons sur l’Etat-providence – FW N°27.
¤ François GARCON, Le modèle suisse – FW N°33.
¤ Benjamin DESSUS, Peut-on sauver notre Planète sans toucher à notre mode de vie ? –
FW N°39.
¤ François DUBET, La préférence pour l’inégalité – FW N°54.
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