Nos générations sont les premières à pouvoir espérer que l’on saura bientôt expliquer comment fonctionne notre esprit. Déjà, nous connaissons beaucoup de choses sur la géographie intérieur de notre occiput, nous commençons à entrevoir comment ses différentes constellations travaillent ensemble pour produire la conscience, et certains imaginent la manière d’augmenter nos capacités et de dépasser les frontières de l’humain.
C’est ainsi en termes nouveaux que la question du corps et de l’esprit se pose. Savoir comment notre pensée s’articule et se traduit en actes nous guérira-t-il de nos passions destructrices ? La science du cerveau règlera-t-elle la question de l’être, ce que nombre de neuroscientifiques semblent considérer comme une évidence ?
Ce livre n’est pas un ouvrage de science mais de philosophie. Il s’adresse à tous ceux qui sont curieux de savoir ce que la connaissance du fonctionnement du cerveau va changer dans l’existence. De ce parcours émergent l’horizon d’un nouvel humanisme.
Valérie CHAROLLES
Fayard – 2016 – 160 pages
Petit livre, réflexion majeure.
A propos de l’amour, VC nous invite à des passions libérées. Dans le Monde d’avant le 20e siècle, la zone de chalandise amoureuse pour les paysans s’étend sur quelques villages et ne dépasse pas les limites du canton en dehors des exodes provoquées par la faim. Plus tard, mobilité aidant, le brassage prend corps, et l’application de la règle non écrite et millénaire de parité de patrimoines ou des positions entre époux devient impossible.
Nous sommes les premiers pour qui, grâce à la contraception, l’acte sexuel est délié des contraintes de l’enfantement ; nous sommes en capacité de pratiquer la sexualité sans crainte que cet acte ne produise des conséquences jusqu’à notre mort.
L’auteur aborde ensuite des passions récemment apparues, comme la consommation et le travail sans fin. Elle argue que les ruses de la société de consommation sont subtiles, jouant plus sur les désirs que sur les besoins (largement satisfaits) ; pour elle, c’est en réalité la paresse, immense paresse intellectuelle, qui permet à la société de consommation avancée de prospérer. De même, dans le monde du travail, nous serions bien plus heureux si nous ne laissions pas les dirigeants choisir le mode de travail des autres sur le modèle du leur – au demeurant rarement efficient.
Sur le sentiment religieux, le propos paraît bien naïf quand elle dédouane l’inquisition catholique comme ne faisant pas partie du message christique, comme elle considère aussi que c’est le cas de nos jours à propos du Coran. Hélas, il n’en est rien, les dogmes inventés s’appliquent dans leur violence irrépressible. [Cf. la NDL du livre du poète syrien ADONIS « Violence et Islam » – FuturWest N°58.]
Plus loin, Valérie Charolles engage une analyse de la divergence entre Descartes et Damasio : dualité ou confusion entre corps et esprit. Le cœur du débat se noue sur ce sujet et pour VC c’est un vrai débat de pouvoir : si en effet, tout se résume à des corps alors, quand les neurosciences auront expliqué comment fonctionne le cerveau, elles auront tout expliqué de notre conscience, pensée, vie intérieure. Il ne restera rien en dehors de leur champ. Si, en revanche, l’hypothèse cartésienne est la bonne, alors, une fois que les neurosciences auront entièrement réalisées leur programme de recherche, il restera encore quelque chose qui leur échappera de la vie de l’esprit.
Dans un chapitre « La descendance de Darwin », VC explique que le choix dans la sphère de la liberté n’est en effet pas le choix qui s’impose à nous mais le choix en préférence : ce n’est pas le choix de manger ou pas, mais le choix de manger ceci ou cela. Nous ne pouvons pas faire comme s’il n’existait que des choix contraints, comme si la liberté était toujours sous-tendue par une trajectoire qui détermine inexorablement son cours. C’est parfaitement contradictoire avec l’expérience vécue et le déroulement des évènements historiques. L’intérêt de la vie c’est en effet que nos préférences peuvent être continuellement ajustées, c’est-à-dire que nos critères pour choisir un café plutôt qu’un autre peuvent changer.
Ainsi, les toutes nouvelles découvertes des neurosciences ne relèguent pas au rang de croyance dépassée le savoir si ancien que nous avons accumulé du fait qu’il existe en nous une forme de liberté, et même diverses formes de liberté, que nous avons certes parfois du mal à manier mais qui n’en constituent pas moins un espace de référence pour la direction de nos vies.
La redécouverte de l’esprit = Le fait que la stimulation d’une zone du cerveau modifie nos comportements ou que des lésions peuvent entraver notre jugement ne prouve pas que la liberté est une illusion, mais uniquement qu’elle peut être manipulée et altérée.
Dans la troisième partie du livre, l’auteur propose cinq règles pour la direction de la vie :
¤ Nous serions bien inspirés de régler notre conduite sur notre comportement en matière de sexualité et d’amour plutôt que sur celui que nous adoptons dans le travail et la consommation.
¤ Il n’y a pas une unique manière de bien se conduire.
¤ L’indignation et la révolte contre un ordre injuste établi sont toujours légitimes.
¤ Deux principes sont nécessaires pour mener une vie juste : prendre au sérieux l’homme en autrui et le libre arbitre de l’homme.
¤ La sphère du pouvoir mérité d’être réduite au maximum.
Renvois :
¤ Henri ATLAN, Le vivant post-génomique – FW N°41.
¤ Antonio DAMASIO, L’erreur de Descartes (la raison des émotions) – FW N°42.
¤ Bernard CLAVERIE, L’homme augmenté (Néotechnologies) – FW N°43.
¤ George STEINER, Poésie de la pensée – FW N°47.
¤ Mark HUNYADI, La tyrannie des modes de vie – FW N°57.
¤ Jean-Claude CARRIERE, Croyance – FW N°57.
¤ François CLARAC, Du neurone aux neurosciences cognitives – FW N°57.
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