Le texte de recherche qui est présenté ici vise à déterminer en quoi l’instauration de l’Allocation Universelle aurait un impact accélérateur sur le développement d’un territoire, donc d’une communauté humaine, ou, a contrario, un effet de frein.
Nous présentons donc trois parties :
¤ Rappel du concept
¤ En quoi l’AU serait un frein au Développement local ?
¤ En quoi l’AU serait un accélérateur du Développement local ?
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RAPPEL DU CONCEPT
Le projet de délivrance d’une Allocation Universelle (AU) est présenté pour la première fois par Thomas PAYNE au moment des évènements de la Révolution Française.
L’idée sera reprise par Georges DUBOIN dans les années 1930, et, plus près de nous, théorisée à partir des années 1980, notamment par Philippe VAN PARIJS de l’Université de Louvain qui sera à l’origine du BIEN (Basic Income European Network).
Le constat part de la situation particulière des sociétés occidentales, industrialisées, développées, entrées les premières dans l’ère de l’information : tout individu qui naît dans un de ces Pays « hérite » de la richesse construite par ses prédécesseurs.
Autrement dit, c’est le stock – et pas seulement le flux – qui est pris en compte pour attribuer à tout citoyen adulte une allocation mensuelle de base, systématique, pour la vie entière, indexée sur la croissance, indépendamment de toute activité économique.
Dans la pratique, l’instauration de l’AU exige la remise à plat de l’ensemble des mécanismes de Protection Sociale (Santé, Famille, Vieillesse, Emploi, Logement, RSA) de manière à simplifier le dispositif et, par la-même, à le rendre lisible pour tout un chacun. De nos jours, en France, le calcul montre que l’on pourrait distribuer ainsi chaque mois, au moins 800 Euro à chaque citoyen adulte, des compléments spécifiques étant à même de compenser certaines charges de famille.
L’AU est attribuée nominativement. L’individu est libre ensuite de faire ce que bon lui semble ; soit il se contente de l’AU, soit il la complète par des ressources financières tirées d’une activité économique (libéral, indépendant, salarié …).
Pour plus de précisions sur le concept, nous renvoyons le lecteur à deux textes qui le présentent et donnent des exemples précis d’application : « Allocation Universelle et Développement Durable » – Revue FuturWest N°19-2006, et les Actes du Colloque « Protection Sociale 2030 », tous deux accessibles sur www.futurouest.com
D I S P U T A T I O
EN QUOI L’ALLOCATION UNIVERSELLE SERAIT-ELLE FAVORABLE AU DÉVELOPPEMENT LOCAL ?
Nous ne pouvons pas raisonner sur l’architecture politico-administrative locale actuelle tant elle est à la fois obsolète et contre-productive. Nous devons reprendre à notre compte la réforme territoriale telle que proposée dans le texte « Le futur des régions » en Mai 2014 sur www.lemonde.fr et qui donnait comme perspective une articulation à trois niveaux : Commune + Communauté (ou Pays) + Région. La disparition du niveau départementale élimine déjà une partie du gaspillage de moyens, ressources humaines et argent.
Nous avons aussi bien conscience qu’introduire la responsabilité bottom-up dans un Etat comme la France qui fonctionne en top-down depuis des siècles est une petite révolution, mais elle est consubstantielle à l’idée d’autonomie apportée par l’instauration de l’AU.
Un choc de simplification
Alors que les mécanismes de Protection Sociale divers sont devenus abscons pour les utilisateurs, opaques pour les contributeurs, et nécessitant des ramifications bureaucratiques de plus en plus chronophages, employant des personnes à gérer des situations parfois inextricables, la mise en œuvre de l’AU conduit automatiquement à une simplification nette. La remise à plat de nombreux dispositifs pour n’en faire qu’un seul via une attribution automatique (pas de seuil, pas de ceci, pas de cela, pas de décomptes rétroactifs, pas de superpositions de démarches et de procédures…) est bien un véritable choc de simplification pour les usagers.
Les bureaucrates habitués à se vautrer dans des complications fumeuses s’en remettront-ils ?
Social
Pour comprendre la portée exceptionnelle de l’AU, il faut que le lecteur se mette un moment à la place d’une personne – un citoyen, paraît-il – qui se retrouve dans une situation où elle doit simultanément gérer une perte d’emploi, donc de revenu, une séparation conjugale, et un état de santé déficient. Le cas n’est hélas pas théorique ! Elle va devoir entreprendre des démarches plurielles s’adressant à plusieurs organismes ayant chacun leurs propres procédures, leurs propres méandres kafkaïens, leurs propres heures d’ouverture, des demandes de paperasses à n’en plus finir, parce que l’usage de L’Internet n’a en rien atténuer la boulimie de preuves, d’attestations, de photocopies de tel ou tel papier… alors que du déclaratif suffirait, comme dans les Pays nordiques ; mais nous sommes en France où un attributaire est un … tricheur potentiel, vieille tradition judéo-chrétienne.
Essayons d’imaginer le temps que va gagner la personne en n’ayant plus aucune démarche spécifique à faire à l’exception d’être reconnue par inscription dans la mairie de son choix. Ce serait tout simplement prodigieux. Mais surtout, c’est la qualité de vie qui en découle qui serait déterminante, une sérénité qui libère l’esprit, la sensation de sécurité pérenne, l’activation des facultés créatrices de tout un chacun.
Pratique. Comme expliqué supra, la remise à plat simplifie considérablement l’architecture connue à ce jour. Dans la pratique, il reste deux mécanismes sociaux à financer « hors AU » : la Santé et la Retraite complémentaire. Pour la Santé nous préconisons soit une vraie Sécurité Sociale à la Beveridge, comme au Danemark ou au Royaume-Uni ; soit le bouclier sanitaire proposé par Jean-François Ecalle (Voir les actes déjà cités). Pour la Retraite complémentaire, soit elle viendra de cotisations liées à une activité économique, soit elle sera le fruit d’un choix autonome de l’individu.
Mobilité/Liberté
Doté de son revenu inconditionnel qui lui est versé chaque mois, l’individu retrouve des espaces de liberté et de mobilité.
De liberté puisqu’il décide soit de vivre chichement avec son AU, soit il décide de la compléter par une activité rémunérée (indépendant, agriculteur, libéral, salarié, fonctionnaire…).
Doté de son pécule, il peut facilement négocier avec un employeur son temps d’implication dans l’entreprise et la rémunération qui lui sera proposée [Nota = De son côté, l’employeur a la même information ; un salaire de 2000 Euro antérieur est devenu de facto un salaire de 1200 Euro, une fois déduite l’AU connue. Il s’agit, sans doute pour la première fois dans l’histoire économique d’une véritable application de la « loi » de l’offre et de la demande qui pour s’appliquer réellement demande une symétrie d’information parfaite entre les parties contractantes ; cas qui n’a jamais été constaté jusqu’à nos jours.]
Nous avons donc éliminé, au moins en grande partie, la posture léonine de l’employeur potentiel, et rétablit un équilibre ô combien favorable à une franche collaboration.
Si la personne décide de « se mettre à son compte », elle aura aussi grande facilité à convaincre quelque financeur puisqu’il a déjà la garanti que c’est un entrepreneur solvable, mais de plus, elle pourra organiser son activité commerciale, artisanale, de service… comme elle le souhaite au mieux, arbitrant ainsi entre des périodes d’intense production et des périodes plus calmes ; le tout permettant aussi de gérer les mouvements de la vie familiale (enfants, scolarité, loisirs, engagements associatifs…).
Mais cette liberté s’accompagne aussi d’un degré de mobilité accrue. Passant d’une région à une autre, plus de démarches pour faire suivre les dotations sociales, plus de courriers à n’en plus finir pour obtenir des transferts de droits… L’AU suit son attributaire, là où il se trouve. La corrélation avec la liberté décrite supra est évidente : pour la personne qui voudra compléter son AU par un revenu d’activité complémentaire, elle pourra explorer selon ses intérêts et ses souhaits un marché du travail local, régional, national, voire européen.
Mutualisation / Sociologie / Cohabitation
Une AU à 800 Euro par mois n’est pas une « aubaine », c’est un socle sur lequel vient se greffer des considérations humaines autant qu’économiques.
Imaginons qu’une personne ne souhaite pas avoir d’activité économique lui permettant de compléter son AU, mais qu’elle convienne que c’est un peu maigre pour avoir une vie matérielle satisfaisante : pourquoi ne pas mutualiser son AU avec celle d’une autre personne ? Plusieurs cas de figures seront possibles.
- Deux ami(e)s qui décident de cohabiter dans le même logement pour faire des économies d’échelle pendant leurs études ou leur apprentissage.
- Deux personnes qui décident de faire leur vie ensemble. Elles débutent avec un revenu fixe de 1600 Euro par mois, ce qui leur permet déjà de mutualiser d’autres moyens comme les savoir-faire manuels, culinaires, culturels… et décider de « faire avec » ou bien, selon les choix de chacun de compléter les 2AU par des revenus d’activités annexes, symétriquement ou pas (voir aussi infra La semaine de trois jours).
- Une personne jeune célibataire qui est encore à chercher sa voie de vie personnelle et professionnelle et qui serait hébergé chez une personne seule déjà senior. Ce partage amène du donnant-donnant sur la base des acquis matériels du logement de la personne accueillante en échange de services rendus par la personne accueillie. Comme la personne accueillie possède son AU, elle peut l’utiliser non seulement pour ses propres besoins mais peut aussi convenir avec la personne accueillante (qui elle aussi possède son AU + sans doute des revenus annexes comme pensions, par exemple) de lui attribuer forfaitairement une partie de sa propre AU à titre de dédommagement général.
- Des personnes – nombre indéfini – décident de cohabiter pour le meilleur ou pour le pire en définissant des conditions de vie en commun dont la variété pourrait bien surprendre bien des contempteurs.
On se rend compte à cette seule évocation de quatre exemples combien l’AU vient bouleverser nos conceptions et nos comportements habituels. La notion de ménage qui est à la fois économique et sociologique devient plus variée, plus floue aussi. La durée de ces ménages est également un point d’interrogation puisque nous serons dans l’expérimentation. Quant aux relations humaines et sociales, nous y retrouverons probablement ce sur quoi se lamente bien des passéistes. A savoir que la mise en place de mécanismes collectifs étatiques de Protection Sociale « Welfare state » a réduit et parfois éliminé les relations de solidarité localisées, qu’elles soient effectives avec la parentèle proche ou éloignée, avec le voisinage, avec les liens amicaux, professionnels ou autres…
Les conditions générées par l’AU ne restaureront pas les conditions – sans doute très idéalisées – des solidarités localisées du passé, mais elles portent en elles-mêmes des modifications substantielles des comportements sociologiques. L’AU est bien un élément du type de Protection Sociale « étatique », mais ses inductions en font potentiellement un renouveau des solidarités localisées, des relations humaines plus chaleureuses, le partage d’engagements divers et d’aménités nouvelles à découvrir.
Économie
D’un point de vue économique, quels effets de levier l’AU amènerait-elle ?
Un effet mécanique intrinsèque à l’AU est un resserrement de l’échelle de rémunérations du travail, puisque tous les salaires ou rémunérations subissent une réduction nominale de 800 Euro. Or, les effets « multiplicateurs » sont connus de longue date ; dans une ville qui compte deux mille ménages par exemple, il vaut mieux pour l’économie (en simplifié, évidemment) deux mille ménages à 40 000 Euro/ an que deux cents ménages à 150 000 Euro/an + mille huit cents ménages à 27 500 Euro/an. Le second cas génère moins d’effets multiplicateurs (consommation variée, épargne, investissements plus nombreux…) que le premier.
Mais au-delà d’une situation isolée et « statique » que nous venons de décrire, l’essentiel des gains économiques viendraient sans doute de la capacité à mobiliser des moyens, mêmes modestes, par des personnes plus nombreuses qua dans la société que nous connaissons actuellement. De plus, comme expliqué supra, la capacité à la mobilité se voyant accrue, il sera aussi plus aisé de « transporter l’AU avec soi » pour dynamiser un territoire de son choix, que ce soit en y recherchant un emploi de type salarié ou bien en décidant d’y investir à plusieurs. De ce point de vue, l’AU et le crowfunding – financement participatif – sont faits pour s’entendre.
Nous pouvons attendre aussi de l’AU qu’elle permette à des projets dormants dans des territoires peu favorisés à ce jour de se repositionner à la fois dans l’esprit des habitants et dans des perspectives de localisation qui pouvaient apparaître comme rédhibitoires jusqu’alors.
La solvabilisation accrue de quasiment tous les ménages devrait aussi permettre des accès simplifiés au crédit, tout en évitant les pièges des crédits revolving ; de ce point de vue, la mise en commun des moyens au sein de FIP – Fonds d’Investissement de Proximité – sera aussi un levier intéressant à vérifier.
Environnement / La semaine de trois jours
Au-delà des effets mécaniques qui affecteront les aspects économiques et sociologiques, l’AU est aussi porteuse de modification dans les relations avec l’environnement au sens aménités naturelles. En effet, la mutualisation rendue possible par l’instauration de ce revenu inconditionnel permet d’envisager des organisations sociales nouvelles. Il en va ainsi de « la semaine de trois jours ».
Prenons le cas d’un couple (deux personnes) en âges d’être au sein de la population occupée. A partir des arbitrages qu’ils feront entre le revenu tiré des deux AU et les revenus complémentaires tirés d’une activité économique, rien n’empêche de trouver des solutions idoines qui aboutiraient à « partager la semaine » : l’un travaillant du Lundi au Mercredi, l’autre du Jeudi au Samedi. Dans un bassin de vie donné, poussé à l’extrême, ceci conduit à ce que seulement la moitié de la population occupée se déplace en début de semaine et l’autre moitié en fin de semaine : simplification des flux de circulation, moindre pollution, facilité des démarches administratives et domestiques, facilité de la gestion des enfants scolarisés si la situation le présente… abolition (car inutile) du travail du Dimanche ! [Sauf lieux habituels : Hôpitaux, Trains, Hôtellerie-Restauration…].
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TÉMOIGNAGE
Réflexions sur mon expérience au centre social Polygone
par Anne Locard, membre de FUTUROUEST Association
Avant de se lancer dans toutes analyses subjectives de mon expérience professionnelle au sein des services du centre social Polygone de Lorient, il est indispensable de resituer objectivement le contexte dans lequel mon travail s’épanouit. D’abord, dans quel quartier intervient ce centre social, quelles sont les particularités du quartier Polygone Frébault, puis comment intervient le centre social dans cet espace. Ensuite, je ferai état de mes analyses sur mon travail dans le centre social.
Le Centre social Polygone agit principalement sur le quartier ZUS[1] Polygone Frébault, et plus largement sur l’espace appelé « grand quartier », englobant Polygone, Frébault, Kéroman et Merville. En 2012, la ville de Lorient compte 57 812 habitants, le grand quartier 7 712 habitants et Polygone Frébault 1 742 habitants.
A la lecture du projet du centre social, Frébault Polygone est un îlot d’habitat social, de 684 logements définis comme « anciens, petits, vétustes et sonores » proposés avec les loyers les moins chers de Lorient. Le taux de rotation dans les logements HLM y est très nettement supérieur à la moyenne lorientaise (16,3% contre 10%). Les loyers étant moins élevés que dans les autres quartiers de la ville, le premier accès à un logement HLM y est facilité. Cependant, les logements et l’environnement étant peu attractifs, Frébault Polygone est vu comme un quartier de passage peu demandé, que les familles cherchent à quitter pour une meilleure qualité de vie. Dans ce quartier perçu comme sale, renfermé sur lui-même, triste et pas aménagé, les habitants recherchent plus d’intimité face entre autre à la sonorité des bâtiments.
L’arrivée de familles étrangères (turques, tchétchènes) et de très jeunes parents en grande fragilité, le nombre croissant de cas de problèmes psychologiques, et la présence autour de cet îlot d’un habitat résidentiel recherché pour sa proximité avec le centre-ville, constituent dans le quartier une mixité sociale pouvant entraîner certaines dérives (notamment xénophobes). Les consommations addictives, les drogues, l’alcool et le trafic de stupéfiants sont des pratiques implantées de longue date dans le quartier. Dans ce contexte, les relations de voisinage sont pauvres, voire conflictuelles.
Pour mieux observer les populations en difficulté sur le quartier, voici quelques éléments chiffrés. Parmi les habitants du quartier, allocataires CAF, les deux tiers sont isolés (contre 35% à l’échelle morbihannaise). Plus de la moitié des familles sont monoparentales. 40% des allocataires sont bénéficiaires des minima sociaux (18% dans le département) et le revenu médian par unité de consommation est d’à peine 1000€. La moitié des ménages allocataires se situe en dessous du seuil de bas revenus (956€) et 53% des allocataires du quartier sont dépendants des prestations CAF à plus de 50% (contre 20% dans le Morbihan). On dénombre sur le quartier 17% de chômeurs. En 2012, un ménage sur cinq est concerné par une allocation chômage.
La majorité de la population doit affronter des difficultés financières, voire une très grande précarité. De plus en plus de jeunes et de personnes âgées sont rencontrés dans le montage de dossiers de surendettement. Face à la mixité culturelle du quartier et à l’isolement d’un grand nombre de personnes (social et professionnel), les habitants s’investissent peu dans la vie du quartier.
Dans ce contexte et selon le projet social 2013-2016 du centre social Polygone, ce dernier contribue à renforcer le lien social sur le territoire. C’est un « lieu de rencontres, d’animations, de loisirs, d’échanges, de partages », un « espace d’initiative et de participation des habitants à leur vie de quartier ». Le centre social prône les valeurs de laïcité, de tolérance, de respect, de solidarité et de coopération. Il vise par ses actions à favoriser la reconnaissance et le respect de la dignité des personnes. Il œuvre aussi à développer la confiance de chacun dans ses capacités à accroître son niveau d’autonomie, à progresser tout au long de sa vie et à apprendre et transmettre ses savoirs.
Ici commence une présentation totalement subjective du travail de l’équipe du centre social.
J’ai été recrutée au centre social en octobre dernier, pour remplacer une animatrice en arrêt maladie. Appelée par la directrice du centre social la veille de mon embauche, mes débuts au sein de l’équipe ont été plutôt difficiles.
Animatrice depuis 2006, ayant obtenu le BAFA, puis le DUT carrières sociales, puis le Master en développement local ; formatrice BAFA, directrice de centres de loisirs et responsable d’animation d’une équipe de 10 personnes en colonies de vacances, mes expériences en animation socioculturelle sont nombreuses et variées. J’ai beaucoup évolué dans ce domaine et j’ai acquis de plus en plus de responsabilités et de confiance de la part de mes responsables.
A la recherche d’un emploi en développement de projets associatifs, je suis animatrice dans ce centre social, dans l’attente de trouver un poste correspondant davantage à mes formations et expériences.
Me voilà donc au centre social Polygone, dont je connaissais déjà bien la directrice (ayant été moi-même à plusieurs reprises directrice de centres de loisirs coordonnés par le centre social). Cependant, je ne connaissais pas l’équipe d’animateurs du centre social, et donc eux-mêmes ne me connaissaient pas non plus.
Cette situation a d’abord crée un certain malaise. Attachés à leur animatrice habituelle, mes nouveaux collègues m’ont semblé quelques peu réticents à m’intégrer dans leur groupe. Ne participant pas aux réunions d’équipe, n’étant pas au courant de la nature de la maladie dont souffre celle que je remplace (remplacement à l’origine pour un mois, j’amorce mon cinquième mois d’activités au centre social) et ne sachant donc pas jusqu’à quand durera mon contrat, il m’est très difficile de m’impliquer dans des projets à moyen et long terme. De plus, mes horaires sont aménagés de manière à pouvoir envisager, concevoir puis développer de nouveaux projets (sur mes 24 heures hebdomadaires, 10 ne sont pas dédiées à de l’animation mais à de la préparation), cependant, le peu de légitimité octroyé à mon remplacement par mes collègues limite mon enthousiasme pour des projets que je pourrais potentiellement lancer aujourd’hui, et me fait douter sur la poursuite de ces projets après mon départ.
Les principales distorsions entre l’équipe et moi concernent les activités que je mène et les valeurs que j’y attache. Pour moi, les temps d’animation sont des moments de vivre ensemble, de convivialité et de loisirs. N’ayant jamais travaillé dans un centre social auparavant, n’ayant pas fait d’animations auprès d’un public handicapé ou en grande difficulté sociale, l’animation a toujours été pour moi avant tout un temps de convivialité et de partage.
Ayant l’habitude de lancer des projets avec des enfants, où la place laissée à leur imagination et leur curiosité doit être la plus grande possible, je n’ai jamais essayé d’analyser la portée sociale et éducative de mes actions. Même si en formation on nous incite fortement à mettre du « sens » derrière chaque activité (favoriser l’autonomie des personnes, leur épanouissement, renforcer le lien social, prévenir les inégalités sociales…). Selon mes expériences, chaque temps d’animation apporte un plus à ses participants mais je suis incapable de juger, d’évaluer, de nommer, ce « plus ». Et ce plus les atteint eux, comme moi. Ces moments ne laissent jamais indifférent et auront toujours une incidence sur les parcours de chacun.
Tout ça pour en revenir à mes actions au centre social et mes échanges avec mes collègues sur le « fond » des animations menées. Être conscient des difficultés sociales, économiques, voire psychologiques des personnes qui participent à nos activités est certes important. Ce n’est pas pour autant qu’il faut adopter en face d’elles un autre comportement que celui que nous adoptons au quotidien. Lorsque je mène des activités au centre social, elles sont proposées à un public en particulier mais les critères ne concernent que l’âge (adolescents, adultes), et non le niveau social ou le niveau intellectuel. Donc, j’essaye de m’adresser à eux tel que je m’adresse à tout un chacun, même s’il arrive la plupart du temps que j’ai dans mes groupes des personnes ayant des problèmes psychologiques. Je ne tiens pas compte de ces éléments étant donné que d’après moi, si ces personnes sont là, c’est pour l’activité en elle-même et non pour un accompagnement spécialisé.
Par mes expériences, j’ai pu remarquer que ce sont souvent les évènements spontanés qui fonctionnent et marquent les esprits, davantage que des projets de long terme. Plus le projet est spontané, plus l’aide des habitants va être importante. Et donc, plus les habitants se sentent concernés et impliqués. Certains projets lancés au centre social par mes collègues sont d’après moi trop lourds de sens et trop « clôturés ». A essayer d’anticiper les progrès que tel atelier favorisera chez les participants, on en oublie la qualité du moment présent. L’activité est un prétexte au lien social, et sur ce point, je rejoins tout à fait mon équipe, mais il n’est selon moi pas nécessaire de se demander quelle est la dominante de mon activité (réflexion, observation, coopération, compétition…). Toute activité en groupe amène à la rencontre et à l’échange, ce qui, pour les habitants du centre social comme tout un chacun est déjà beaucoup. Faire groupe et passer un moment convivial, dans un espace donné et dans de bonnes conditions suffit à faire « sens ». Il n’est pas nécessaire d’anticiper ce « sens » et ses répercussions sur les individus. A chacun de se faire sa propre histoire suite à ces moments particuliers. En formulant des idées, des attentes, des critères d’évaluation pour chaque animation, on bride ces temps d’activités, on borne un moment au détriment de la spontanéité et de la créativité de chacun.
L’animateur de centre social est là pour « animer » un temps qui doit être le plus agréable possible pour les participants. Il doit savoir s’effacer pour que la force du collectif prenne les choses en main et s’investisse dans le quartier. C’est cela pour moi le sens même d’un centre social. Donner aux habitants le goût de vivre ensemble et de participer à la vie de quartier. Et il n’y a pas de projet miracle pour arriver à ça. Toute activité peut participer à construire cette solidarité. Il faut donner aux habitants des occasions de se retrouver, d’échanger, de se rencontrer et d’apprécier ces temps, simples, ensemble, dans le quartier. Et savoir, nous animateurs, nous effacer quand le moment est venu.
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EN QUOI L’ALLOCATION UNIVERSELLE SERAIT-ELLE UN FREIN AU DÉVELOPPEMENT LOCAL ?
Plusieurs personnes furent sollicitées depuis l’Automne 2014 pour rédiger cette partie de la « disputatio » (Universitaires, chercheurs, géographes, aménageurs, économistes……). Aucune n’a accepté de le faire. Dont acte.
LF / Juin 2015.
[1] ZUS : Les zones urbaines sensibles (ZUS) sont des territoires infra-urbains définis par les pouvoirs publics pour être la cible prioritaire de la politique de la ville, en fonction des considérations locales liées aux difficultés que connaissent les habitants de ces territoires. Source INSEE