L’histoire des idées politiques s’est longtemps résumée au commentaire savant de grands penseurs ou de grandes questions éternelles. Partout dans le monde, les entreprises de refondation se sont pourtant multipliées depuis les années 1970, portées par des approches parfois divergentes, mais s’accordant sur la nécessité de ne pas traiter les idées comme des objets désincarnés. Etrangement, ces développements n’ont eu, encore récemment, que peu de retentissement en France. C’est à cette situation que remédie cet ouvrage. Disséquant les apports d’écoles consacrées (école de Cambridge, sémantique historique allemande, généalogie foucaldienne, histoire sociale des idées politiques bourdieusienne, etc.) et mettant en perspective des thématiques particulières (idées et milieux populaires, idées et décision publique, etc.), il offre des réponses à des questions essentielles : qu’est-ce qu’une idée politique ? Les idées politiques sont-elles le fruit du seul génie créateur de leurs auteurs ? Gouvernent-elles le monde ?
Arnault SKORNICKI et Jérôme TOURNADRE
La nouvelle histoire des idées politiques
La Découverte – 2015 – 125 pages
Cet ouvrage dresse un inventaire complet de l’histoire des idées politiques. On part de l’école de Cambridge et du contextualisme : il n’y a pas l’histoire d’une idée, mais une histoire de ses usages divers. Pour comprendre un auteur, il faut saisir son intention. Le contexte rhétorique et intellectuel doit être étudié par l’historien pour retracer le sens des textes du passé.
Puis on aborde l’apport de Skinner, qui identifie 3 méthodologies pour critiquer l’histoire des idées. La méthode de Skinner consiste à se demander ce qu’un auteur veut faire en disant ce qu’il dit : le texte est ainsi pensé comme une action.
Après la présentation de nouvelles approches en histoire des concepts politiques, en Allemagne, en Italie, en France avec Foucauld et Rosanvallon, les auteurs abordent l’histoire sociale des idées politiques : sociologie des idées, renouveau marxiste avec l’histoire sociale de la théorie politique et la reconstruction du matérialisme historique utilisant une vaste enquête des Wood sur la pensée politique occidentale. Suit un long développement des théories de Bourdieu : la longue chaîne de production des idées qui, en se diffusant, font l’objet d’adaptations, d’appropriations et d’interprétations.
Ensuite, vient une nouvelle histoire des idéologies : d’abord le fait des intellectuels, politiciens, sociologues et journalistes (la doxa : ensemble de croyances, de slogans, questions et débats qui fondent une vision du monde partagée par les élites dominantes), puis une analyse de l’appropriation des idéologies par les masses.
Le dernier chapitre traite de la mise en politique des idées, en insistant sur le rôle des « think tanks » et l’importance des théories économiques. Les « sciences de gouvernement » constituent un savoir très politique pour orienter l’action politico-administrative.
En conclusion, celui qui n’a pas un doctorat de philosophie aura bien des difficultés à lire ce livre. Il est en effet rempli de concepts très abstraits que le lecteur profane aura bien du mal à appréhender. Quelques exemples :
– il faut passer de l’histoire sociale de la culture à l’histoire culturelle du social,
– il y a 3 modalités fines du rapport au monde social 1/ une modalité agonistique 2/ une modalité praxéologique 3/ une modalité institutionnelle,
– se mettre à la frontière entre les philosophies publiques et les idées programmatiques permet de voir le processus de circulation, mais aussi de signification des idées.
MK