Le Lean en questions

Cécile ROCHE

L’Harmattan – 2016 – 215 pages

 

Le Lean (maigre, en anglais) n’est pas le dernier régime amaigrissant à la mode pour retrouver la ligne parfaite afin de parader sur les plages de l’été.

Pour certains, il est présenté comme l’une des dernières innovations dans le management.

Comme il s’agit de management, je retiendrais la définition attribuée à Peter Drucker « Le management vise à transformer les compétences individuelles en compétences collectives pour les rendre efficaces et dégager ainsi des performances propres à l’entreprise. Il est un élément de la pérennité en assurant la cohérence entre finalités, objectifs, procédures et résultats. »

Depuis la fin des « 30 glorieuses » autour des années 1980, la rapidité des évolutions économiques, technologiques, industrielles et sociétales a imposé une mise à jour constante des connaissances, des pratiques organisationnelles et des pratiques de management. Dans le même sens, la mondialisation des marchés réclame une amélioration permanente de la qualité et de l’efficacité opérationnelle sans lesquelles des stratégies gagnantes ne peuvent pas être élaborées. Sous l’influence principalement des Japonais, on a vu fleurir la litanie de la qualité totale : zéro défaut, zéro panne, zéro stock, zéro délai, zéro papier. En 1989, Hervé Serieyx ajoutait le « zéro mépris », notamment envers les salariés de l’entreprise, car « Seule l’intelligence de tous ses membres peut permettre à une entreprise d’affronter les turbulences et les exigences de ce nouvel environnement. »

 

Dernièrement, dans son ouvrage « La France en panne d’envie », Jean-Michel Hieaux, a proposé d’adopter le « paradigme de l’envie ». FW n°50 – Printemps 2014 : « Le profit est une condition certes nécessaire mais pas suffisante. L’entreprise n’a de raison d’être que par l’homme et pour l’homme. Sa finalité doit résider dans le bien-être de ses équipes. Les profits ne sont que les moyens. » Plus le salarié est heureux, plus il est productif, créatif, dynamique. Dans le management humain, la finalité de la gestion est autant la reconnaissance et le sens du travail que la performance financière de court terme.

Aujourd’hui, à croire Cécile Roche, le management Lean serait la version la plus aboutie de toutes les démarches et pratiques qui promet « d’allier la satisfaction des clients, des employés et des partenaires, à la croissance de l’entreprise et des personnes. »

 

 

Dans un précédent livre paru en 2013 « Petit guide Lean à l’usage des managers », l’auteure a probablement effectué une présentation didactique du sujet. Dans le présent ouvrage, elle nous propose de passer aux travaux pratiques. Pour cela elle nous invite à parcourir une vingtaine d’étapes et de son périple de consultante, et d’être témoin des comportements qu’elle a pu rencontrer et de ses réactions.

            Elle rappelle trois principes de base du Lean :

=          Améliorer sans cesse la performance du produit pour la satisfaction totale du client.

=          Se placer dans le long terme et considérer le développement des personnes comme un investissement durable.

=          Faire évoluer les façons de manager pour que le dirigeant place avant tout le développement de ses collaborateurs et donne la direction en pensant toujours au client.

 

On peut également traduire ces principes de la façon suivante :

¤         Des personnes satisfaites pour un client totalement satisfait.

¤         Réduire les gaspillages pour assurer la rentabilité.

¤         Appliquer une méthode rigoureuse pour une amélioration sans fin.

 

Comment embarquer tout le monde dans cette dynamique d’améliorations ? La première réponse renvoie à la formation du personnel. « La fonction première d’une société est d’éduquer ». On découvre rapidement que la formation adaptée est un art difficile et que, bien souvent, des sommes importantes sont investies dans des programmes avec des résultats négligeables. Pour être efficace, la formation doit être ciblée et ne pas oublier qu’un des facteurs fondamentaux de l’apprentissage est la répétition.

 

Dans toutes ces démarches, l’auteure reconnaît elle-même que beaucoup d’entre elles ne sont pas propres au Lean et cite un de ses interlocuteurs qui lui dit « Alors, je fais du Lean sans le savoir, comme Mr Jourdain ». Cette remarque pourrait être celle de nombreux lecteurs en refermant le livre de CR après lecture. D’ailleurs, tout au long de l’ouvrage, elle revient sur les principes de base du travail en groupe. On aborde ainsi la complexité du changement en profondeur des comportements. Si chaque idée est simple, il est plus difficile de mettre en œuvre les pratiques Lean tous les jours avec tout le monde. Les premières personnes à convaincre à adapter leurs comportements sont… les managers. A l’aide de « coaches Lean », ils doivent devenir les leaders capables d’apprendre à apprendre à leurs équipes : il est normal d’apprendre tout au long de sa vie et il est toujours possible de faire mieux. Ce qui pose la question du contrôle. Il peut se faire par la peur ou la contrainte ; mais le Lean prétend changer de modèle : développer la confiance pour permettre d’afficher les problèmes et les résoudre ; c’est expliquer plutôt qu’ordonner ; c’est donc sortir du modèle managérial « Commande et contrôle ».

 

Pour faire mieux, il faut avoir une convergence entre les objectifs individuels et les objectifs collectifs, et donc savoir mobiliser chacun vers l’atteinte du résultat collectif. L’autonomie des individus et des équipes ne signifie pas pour autant la disparition des managers. Le rôle de l’encadrement – tous niveaux – est au centre de toute organisation ; mais soucieux de montrer leur efficacité vis-à-vis de leurs objectifs personnels, ils n’ont pas le temps de s’occuper et de faire grandir leurs collaborateurs. De ce point de vue, le Lean propose des principes clairs et des pratiques concrètes. Au passage, citons les cinq principes de Toyota :

=          Kaisen : apprentissage et entraînement.

=          Respect = rendre les gens satisfaits.

=          Teamwork : aptitude à travailler ensemble.

=          Challenge : donner un sens à la démarche.

=          Gemba : aller voir soi-même sur le terrain comment les choses se passent.

 

 

Le lecteur découvrira que le Lean n’a pas l’exclusivité de certains outils de management ; ainsi dit CR « Il est crucial de remettre de la confiance dans les entreprises où le contrôle systématique accentue la déresponsabilisation voire la déshumanisation. La confiance relève d’un cercle vertueux d’engagement des personnes et n’est absolument pas synonyme de laisser-aller. »

Il est impossible de résumer toute les étapes que propose l’auteure. On aura compris que « La démarche Lean, c’est tout le monde, tous les jours. Sans l’implication des personnes, on ne fait qu’imposer une méthode de plus. Sans l’engagement, rien ne change vraiment. Sans la participation active de l’encadrement intermédiaire, rien n’est possible. »

En conclusion, le Lean ne serait que du bon sens pour faire le lien entre management stratégique et management opérationnel. Sa mise en place s’appuie sur un trinôme : le top manager (le patron) / le coach Lean / le Sensei.

 

Le Patron qui représente la volonté et les moyens de l’entreprise doit être la première personne Lean de l’entreprise. Son rôle devrait être principalement de penser le changement. L’entreprise ne deviendra Lean que si le Patron s’engage dans cette voie, accompagné de son propre Sensei (conseiller de synthèse ?).

Le coach Lean apporte sa connaissance pratique et sa capacité à entraîner les équipes.

Le Sensei, conseiller extérieur à l’entreprise garant du savoir et du savoir-faire, apporte la neutralité et l’expertise des situations.

 

Pour répondre à la proposition de départ « Le Lean, dernière innovation en guise de management ? », je reprends cette phrase d’Alain Peyrefitte [Le mal français, 1976] « L’innovateur est celui qui sait mettre en relation des éléments qu’on n’avait pas encore songer à rapprocher et qui parvient à en faire quelque chose d’utile. »

J’ajoute une autre citation « Une bonne gouvernance requiert une autorité qui écoute, qui se laisse corriger et sait aussi créer une société de confiance. »

 

Renvois :

 

¤ Günter PAULI, Croissance sans limite (ZERI) – FW N°36.

 

¤ Yves BAROU (Dir.), Le modèle social européen, FW N°49.

 

¤ Jean-Michel HIEAUX, La France en panne d’envie, FW N°50.

 

 

PQ