Il y a quelque chose de pathétique à lire les doctes discours sur le « sauvetage de la Planète », comme si le minuscule homo sapiens en avait le pouvoir. Et pourtant, dans un ouvrage « Voyage dans l’Anthropocène » [Actes Sud 2010], il nous est expliqué que « l’homme est devenu plus puissant que la nature, plus puissant que l’atome » ; que ses actions productives ont créé une ère géologique (géologique !) nouvelle venant succéder au Pléistocène et à l’Holocène. Diantre…
Les 7 milliards de Terriens, avec leur masse de 350 Gt sont devenus capables de modifier la masse de la Terre, 6 Zt, c’est-à-dire un rapport de 1/60.1015. [1]
Revenons sur Terre, et prenons en compte quelques réalités physiques démontrant l’inanité de telles croyances. La dernière éruption du volcan Pinatubo a expédié en une fois dans l’atmosphère terrestre un volume de GES équivalent à deux années d’activités humaines (agriculture, industrie, chauffage, transport, pratiques domestique…). Dans le domaine volcanique, comment ne pas rappeler le rôle perturbant qu’a joué l’éruption d’un modeste volcan islandais il y a quelques années, au point de mettre le ciel européen de l’aviation en quasi-hibernation ? Le séisme de Tohoku en Mars 2011 est emblématique de l’orgueil humain démesuré : ce fut le troisième séisme de magnitude 9 (Richter) enregistré depuis 150 ans ; il va de soi que ce sont les Japonais avec leurs petits bras musclés qui l’ont provoqué… En 2009, les astronomes terriens ont assisté à l’impact d’un astéroïde de 200m de long – autrement dit tout petit au regard des géocroiseurs observés plus près de nous – sur la planète Jupiter ; le choc dans l’atmosphère jovienne a engendré une énergie équivalente à 5Gt de TNT soit 330 000 (trois cent trente mille) fois la puissance de la bombe-A larguée sur Hiroshima le 06 Août 1945. Enfin, plus près de nous, la chute d’une météorite en Russie, un caillou de 20m de diamètre, a dégagé une énergie cinétique équivalente à 30 fois celles de la bombe-A déjà citée.
Soyons sérieux, la Terre a 4,5 milliards d’années d’existence, elle a vécu des bouleversements telluriques gigantesques dont les puissances déclenchées se mesurent avec des facteurs de 1015 à 1030 en regard de toutes les puissances cumulées que les Terriens seraient en mesure de mobiliser en une seule fois sans que quelque vivant à sa surface y soit pour quelque chose, et elle vivra encore 4,5 milliards d’années avant que notre Sol devienne une géante rouge qui carbonisera tout, mais assurément, l’espèce humaine aura disparu… ou aura émigré vers d’autres planètes accueillantes par elles-mêmes ou bien terraformées, le tout grâce à la science comme le suggère l’astrophysicien Stephen Hawking.
Nous retrouvons cet anthropocentrisme prétentieux dans maints domaines. Alors que celui-ci avait fini par reculé nettement sous les coups de boutoir d’Aristarque, Pythagore, Copernic, Galilée, Darwin et tant d’autres savants, notamment les géophysiciens et les astrophysiciens qui n’ont de cesse de relativiser notre rôle totalement mineur, il est amusant de voir que lorsqu’il s’agit d’imaginer des extra-terrestres, ils sont fréquemment représentés à notre image, y compris dans les ouvrages de science-fiction qui se prétendent les plus audacieux. Quel nombrilisme !
Derrière les discours exagérément négatifs, alarmistes sans preuve, défaitistes, se cache une idéologie qui porte un nom simple, la haine de l’être humain, l’anthropophobie [2]. Bien sûr que pour pérenniser nos conforts acquis dans les Pays riches et assurer à ceux qui y ont droit dans les Pays émergents il faut être rationnel, ne pas gaspiller inutilement, être attentifs à nos aménités, développer les savoirs, les actes culturels, les engagements solidaires… mais ça relève de la pédagogie de l’intelligence, pas de la doctrine mystique de la peur et du refus tétanisant de prendre des risques.
« Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque » René Char.
Appendice pour ceux qui prônent une « économie décarbonée », autrement dit « une vie décarbonée ». Si l’atome de carbone est omniprésent dans les composés de notre vie terrestre, ce n’est pas un hasard, c’est tout simplement qu’il est l’un des deux éléments parmi des 120 du tableau de Mendeleïev à être tétravalent, donc posséder des combinatoires quasi infinies. Le silicium est l’autre atome tétravalent. Cependant, à la différence du carbone ses liaisons atomiques sont trop souvent instables ; de plus, sa biochimie produit des métabolites solides dont le traitement et le stockage posent des problèmes conséquents.
Certes, des chercheurs ont imaginé une vie à base de silicium, mais, outre que nous devrions nous habituer à voir des feuilles d’arbres noires au lieu de vertes, les questions techniques soulevées ci-dessus sont autrement plus compliquées que pour le carbone. Enfin, à ce jour, aucune biochimie du silicium n’a été détectée sur les planètes et exoplanètes connues.
Quant aux vénérateurs des arbres, sont-ils informés que la chlorophylle qui existe sous cinq formes est une molécule qui comprend de 35 à 55 atomes de carbone ?
Phil SHANAHAN / Février 2015
[1] = Pour mettre un terme définitif aux confusions, une codification internationale des unités utilisées dans tous les domaines scientifiques et techniques fut adoptée en … 1985. Dans l’article ci-dessus, G = Giga = 109 et Z = Zetta = 1021. Il est ahurissant et anti-pédagogique de trouver encore de nos jours dans des publications des Mi (million), Mds (milliards), et autres âneries, alors que ça ne veut plus rien dire ; en ce cas, on utilise M = Méga = 106, et G (Giga).
[2] = Gérald BRONNER, La planète des hommes (Ré-enchanter le monde), PUF 2014.