« Depuis quarante ans, la société française souffre d’une grave maladie : le chômage de masse.
Ce mal a suscité une déferlante législative à tel point que le droit du travail apparaît aujourd’hui comme une forêt obscure où seuls les spécialistes peuvent trouver leur voie. Loin de favoriser l’emploi, le Code du travail suscite ainsi un rejet souvent injuste.
Il faut réagir.
Il n’est pas de domaine de l’Etat de droit qui ne repose sur des principes fondamentaux. C’est à mettre en lumière ces principes, disparus sous l’avalanche des textes, que cet ouvrage est consacré. Sur leur base, il appartiendra aux pouvoirs publics et aux partenaires sociaux de décliner les règles applicables aux relations de travail, selon les branches et les entreprises.
Mais rien ne sera fait de durable et d’efficace sinon dans le respect de ces principes. Puisse l’accord se faire sur eux, dans l’intérêt de tous« .
Robert BADINTER & Antoine LYON-CAEN
Le travail et la loi
Fayard – 2015 – 77 pages
La note de l’éditeur qui annonce que le chômage de masse « a suscité une déferlante législative », autrement dit que le chômage aurait fait enfler le Code du travail ne reflète pas le propos des auteurs. Pour eux, c’est un Code du travail obèse qui serait un frein à l’embauche, en particulier dans les très petites, petites et moyennes entreprises qui, souvent, ne disposent pas des compétences internes en législation sociale.
Le Code du travail regroupe l’ensemble des lois et des règlements ayant trait au travail salarié et aux relations professionnelles qui l’entourent ; il comporte 8 parties. N’abordant que les relations individuelles et le contrat de travail qui, selon eux, « constitue le cœur du droit du travail », les auteurs proposent d’élaguer le cadre législatif pour atteindre une épure de 50 articles et qui seraient autant de principes fondamentaux caractérisés par un « niveau élevé de généralité ».
Trois directions seraient explorées à partir de cette structure de base.
Dans les petites entreprises : « Le droit du travail… pourrait, dans une large mesure, être circonscrit à ces principes. » Traduisons : petites entreprises (4,7 millions de salariés dans des entreprises de moins de 11) = petits droits, ce qui introduit une discrimination substantielle là où la négociation collective n’existe pas.
Dans les entreprises où cette négociation collective existe, les principes seraient complétés par des déclinaisons législatives, sous une forme qui reste floue.
Troisième dimension : « Ces principes pourraient servir de grille à une relecture critique et collective de l’ensemble des dispositions dont ils sont les fondations. Ainsi pourraient se réaliser une harmonisation et une simplification nécessaire du droit du contrat de travail. »
Seule la première dimension est claire… mais discriminatoire.
Ceci étant posé, les auteurs ont pris la peine de rédiger les 50 articles.
Certains d’entre eux sont loin de correspondre au niveau universel visé et ne sont que des dispositions administratives : art. 13, « Toute embauche d’un salarié donne lieu à déclaration aux organismes de sécurité sociale » ; art. 30, « Toute rupture s’accompagne de la délivrance par l’employeur de documents… ».
D’autres articles sont si vagues qu’ils devront inévitablement être précisés : art. 14, « Tout contrat à durée déterminée peut comporter une période d’essai raisonnable » ; art. 15, « Le contrat de travail se forme et s’exécute de bonne foi » ; art. 21, « Le salarié bénéficie de congés qui lui permettent de concilier sa vie au travail avec sa vie personnelle, familiale et civique. » (Combien de jours, pris quand, comment ? quid de l’organisation de l’entreprise ?) ; art. 23, « La maladie grave du salarié justifie ses absences pour traitement médical » (les maladies bénignes ne se soignent plus !) ; art. 41, « Tout salarié a droit à un salaire lui assurant une vie libre et digne. Le salaire est proportionné à l’ampleur et à la qualité du travail. » (Quelle est la définition d’une vie digne ? libre ? Comment mesure-t-on l’ampleur du travail ? Quid du SMIC ?)…
Simplifier à l’extrême sans dépouiller de toute substance n’est pas un exercice facile. Le chapitre « Ruptures » ne compte que 6 articles (dont l’art. 30 vu ci-dessus). Etant donné la jurisprudence accumulée, par exemple, sur les licenciements pour motif personnel, cette atrophie est irréaliste.
Après avoir fait ce travail de rédaction, les auteurs proposent trois voies.
La reproduction : Reprise, avec des aménagements, des dispositions actuelles.
Exemple : On conserve l’article L 1121-1 sur les droits fondamentaux garantis dans l’entreprise (article 1 chez nos auteurs) car « son interprétation a représenté une œuvre de longue haleine… Sa réécriture créerait plus d’inconvénients que d’avantages ».
C’est l’aveu que la simplification a ses limites et à l’examen, on ne manquera pas de trouver beaucoup d’articles qu’il vaut mieux conserver en l’état.
La synthèse : Faire court là où le Code du travail est prolixe.
Et les auteurs font très court ! Art. 7 : « Le harcèlement moral ou sexuel est interdit, et sa victime protégée. » Les quelques précisions apportées p. 58 sont totalement insuffisantes quand on sait à quel point c’est un sujet difficile.
La novation : Expression d’une approche nouvelle, non pas des principes, mais de leur mise en application.
Mais les auteurs n’avancent rien de bien audacieux ! Leur article 12 s’applique déjà : « Le salarié a droit, lors de son embauche, à une information complète et écrite sur les éléments essentiels de la relation de travail » : lieu de travail, poste, salaire, durée du temps de travail, convention collective…
Ce schéma de simplification appelle commentaires.
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne reconnaît déjà, et au premier chef, des droits, des libertés et des principes (7 titres, 54 articles). Pour exemples : l’article 23 traite de l’égalité hommes/femmes y compris en matière d’emploi, de travail et de rémunération ; l’article 30 stipule que « Tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales ».
Notre Code du travail fixe ensuite des règles nationales ; il est un outil de régulation entre la sécurisation garantie au salarié et la souplesse laissée à l’employeur dans sa fonction de direction ; il assure à tous un socle réglementaire minimal. Il est complété par des conventions collectives (93 % des salariés en bénéficient) et autres accords (branches, entreprises) qui prévalent sur le Code du travail dans leurs dispositions plus favorables ou plus précises. Les régimes compliqués du temps de travail (annualisation, heures supplémentaires, travail du dimanche, de nuit, etc.) se sont adaptés aux réalités des branches d’activité et ne sont pas traités de la même façon dans la boulangerie, l’aide à domicile ou les transports.
Le contrat de travail est encadré par cet ensemble de textes.
Cela alourdit ponctuellement le quotidien des petits employeurs, mais que dire de la répétition des démarches administratives, des déclarations sociales, des taux de cotisations changeants (exemple, le calcul 2015 de la réduction Fillon : C = T/0,6 x [(1,6 x SMIC annuel/rémunération annuelle brute) -1] ?
C’est surtout à l’occasion de conflits (250 000 ruptures conventionnelles/an en moyenne depuis 2008) et de procédures contentieuses que salariés et employeurs se bagarrent à coup d’articles du Code du travail. Si le droit du travail est devenu un « maquis inextricable de textes de tous ordres », c’est qu’il a nécessité de multiples interprétations et que les litiges ont produit une abondante jurisprudence. On pourrait avancer, par espièglerie, que le Code du travail n’est pas assez complet…
Donner la primauté à la négociation collective, aux accords de branche et d’entreprise, au détriment de dispositions s’appliquant à tous, creusera les écarts entre secteurs d’activité, entre petites et grandes entreprises, et rendra sans doute obèses à leur tour les conventions collectives. Jacques Freyssinet écrit en ce sens : « L’idée que l’on puisse simplifier le droit du travail en simplifiant le Code du travail est un mythe. La complexité du droit reflète la complexité des rapports de travail… Si on sabre dans le Code du travail, on va transposer cette complexité dans les accords collectifs… L’autre possibilité, c’est le développement exponentiel des jurisprudences. »
Quant à la négociation collective, elle est parfois déliquescente. Des conventions n’ont pas été revues par les partenaires sociaux depuis plusieurs années et les salaires minimaux qu’elles mentionnent sont inférieurs au SMIC… Nombre d’accords d’entreprises ne sont pas respectés… « Pour ne pas démolir notre droit social, un changement supposerait d’être porté par des organisations patronales et syndicales puissantes. » (Claire Guélaud, Le Monde). Or ce n’est pas le cas.
A l’inverse du Code du travail, qui peut être connu de tous, applicable à tous, ces accords, s’ils prévalent, ne seront pas accessibles à tous. Et alors, quel contrôle avoir sur leur contenu ? Comment les faire appliquer ?
« Le travail et la loi » est un ouvrage écrit par des intellectuels hors sol qui ont le mérite de nourrir le débat mais qui semblent tout ignorer des relations de travail dans les petites entreprises dont ils voudraient inciter les dirigeants à embaucher par une simplification du contrat de travail. Le droit du travail serait-il censé avoir une efficacité économique ? R. BADINTER et A. LYON-CAEN ne le prouvent pas. A priori ce n’est pas une nouvelle rédaction du Code du travail qui va apporter des solutions à l’activité économique française, à l’emploi et au partage des richesses. « Faire croire qu’il faudrait casser le Code du travail parce qu’il serait responsable de tous les maux de l’économie […], c’est archifaux. » (Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT).
Rendre plus lisible le Code du travail est une bonne intention sur la forme (même si, on semble l’oublier, le Code a déjà été revu en 2008…). Le risque est grand toutefois que cette révision ne soit qu’un prétexte pour dégrader la protection des salariés, faire sauter des garde-fous, afin de donner satisfaction à certaines organisations patronales.
A leur insu, les auteurs illustrent la régression sociale qui pourrait advenir.
Le chantier est entre les mains de la nouvelle ministre du travail…
Renvois :
¤ Gosta ESPING-ANDERSEN, Trois leçons sur l’Etat-providence – FW N°27.
¤ Julien DAMON, Questions sociales : analyses anglo-saxonnes – FW N°35.
¤ Nicolas BALTAZAR, La place des salariés dans l’entreprise de demain – FW N°47.
¤ Jean-Pierre GAUDARD, La fin du salariat – FW N°49.
¤ Malene RYDAHL, Heureux comme un Danois – FW N°53.
MS