Pierre-Noël GIRAUD
Odile Jacob – 2015 – 400 pages
Les ouvrages économiques traditionnellement parlent de croissance pour vaincre les situations économiques difficiles.
Dans ce nouvel ouvrage, Pierre-Noël GIRAUD envisage la situation sous l’angle des évolutions qui créent les inégalités engendrant des hommes superflus, exclus, rejetés et donc inutiles aux autres et à eux-mêmes. Pour lui, l’objet véritable de l’économie aujourd’hui est, non pas la croissance mais la réduction des inégalités, non pas la quantité mais la répartition. Dans notre longue histoire humaine la situation actuelle est essentiellement imputable aux choix des quarante dernières années et ceux des trente prochaines années seront cruciaux pour l’avenir de l’humanité. Il faut d’urgence réduire les inégalités tant internationales qu’internes, sans oublier le sort des générations futures.
En s’appuyant sur les notions de globalisations, d’emplois nomades et sédentaires, de capital naturel et humain, Pierre-Noël GIRAUD donne les clés d’un « bon usage de l’économie » permettant les choix politiques pour un bien-être général, sans hommes inutiles. C’est l‘ambition de l’auteur de proposer un programme économique pour y parvenir.
L’auteur développe l’histoire de la pensée économique au travers des théories des 19e et 20e siècles (Smith, Ricardo, Malthus, Say, Mill, Marx, …), dont les modèles ont montré leurs limites et qu’il faudrait rénover compte tenu de l’apparition de nouvelles données et de nouveaux paramètres.
La prise en compte de la démographie est incontournable. La population mondiale, aujourd’hui en forte croissance, va culminer à la fin de ce siècle à 10 milliards d’hommes, pour décroître ensuite. Si l’on ne peut prévoir ce que sera dans ce cadre la nouvelle révolution anthropologique, la situation actuelle est imputable aux choix de ces quarante dernières années, mais il est surtout urgent de préparer les trente prochaines années.
Les études scientifiques, les statistiques, les données économiques, peuvent paraître optimistes. Il n’y a pas de risque d’épuisement des ressources dites épuisables ou renouvelables : nous ne manquerons pas d’eau, de terre, de minerai, de carbone et nous pourrons nourrir 10 milliards d’habitants. Mais, cet optimisme doit être tempéré par les conséquences des surexploitations des sols, des pollutions locales, des destructions du capital naturel qui ont des effets sur le capital social conduisant aux trappes de pauvreté.
Le réchauffement climatique en est une conséquence, et les Etats ne prennent pas le chemin de le limiter. Les perturbations qu’il engendre – désertification, raréfaction localisée de l’eau, hausse des niveaux des mers, …- créent localement des hommes inutiles, contraints à l’immigration.
Le mouvement des globalisations n’est pas une notion nouvelle. Elles ont débuté après la découverte des Amériques et se sont poursuivi avec la Révolution industrielle où apparaissent les activités « nomades » coexistant ou s’opposant à l’économie « sédentaire ». Ce sera la base du nouveau modèle proposé par Pierre-Noël GIRAUD.
On assiste aujourd’hui à de nouvelles globalisations : numérique avec internet, des firmes avec la mise en compétition de tous les territoires, financière avec la circulation des monnaies et des titres sans contrainte dans le monde entier. Mais ces globalisations ont des effets différenciés dans les différents territoires et les modèles anciens sont dépassés face aux réalités.
Dans un monde où l’augmentation démographique et donc le potentiel d’emplois nouveaux sera dû à l’Afrique, les autres continents étant ou stables ou en régression, il est urgent de s’interroger sur l’évolution des inégalités et notamment des hommes inutiles. A politique constante, elles vont augmenter en Europe et aux Etats-Unis et exploser en Afrique avec pour conséquence des migrations internes importantes.
Les crises financières provoquant des crises économiques conduisent au chômage et à la précarité, accentuant les inégalités et créant de nouvelles trappes d’inutilité. Ainsi, les quatre dernières décennies de libéralisation ont abouti à une industrie financière préparant la crise de 2008. Les conséquences ont été désastreuses et ne sont pas achevées, de nombreux mistigri (part illusoire des dettes, non remboursée) n’étant pas encore décelés.
Ce constat posé, l’auteur, dont l’objectif est d’imaginer des sociétés où tous les hommes seraient « utiles » et auraient une « valeur » pour eux-mêmes et pour les autres, dans une « société juste », avance – en se référant aux critères de Rawls, Sen et Pareto – que pour l’atteindre il est nécessaire de passer par une réduction des inégalités, de la pauvreté, thème devenu récurrent pour tout gouvernement. Ces notions, dont les définitions peuvent avoir des significations divergentes selon les Etats, ont cependant un point commun : leur réduction est une condition indispensable pour l’avenir de la paix civile, ce qui implique de préserver le capital naturel, stabiliser les fluctuations monétaires, diminuer les hommes inutiles, réformer les politiques européennes dans une Europe rétrécie en se basant sur une politique de stabilité plutôt que de croissance.
Pour y parvenir, l’auteur propose de :
– combattre le non emploi et la précarité,
– consacrer les investissements à une ré-industrialisation, en privilégiant la préférence pour les biens-services sédentaires,
– miser sur nos points forts, la haute technologie et le luxe,
– sauvegarder le capital humain, le savoir-faire français,
– soutenir la formation initiale et continue et réformer le dialogue social,
– développer les biens-services nomades liés aux avantages naturels et culturels de nos territoires, entre autre le tourisme,
– contrôler l’immigration sans la refuser, notamment les forces vives immédiatement intégrables,
– réformer la politique monétaire (avec une organisation de la finance favorable à l’ouverture des trappes d’inutilité), la gestion de la dette publique (dont les titres seraient immunisés contre l’inflation) et le système financier (en minimisant les risques).
L’apparition des « hommes inutiles » résultant des imperfections de marché, il appartient aux Etats d’y remédier. Il ne s’agit pas de tout contrôler ou tout réglementer, mais de créer les conditions de développement des politiques préconisées pour atteindre l’objectif de suppression de l’inutilité.
Les réformes proposées paraissent simples et réalisables. Pourtant, aucun Etat ne les prend en compte. Les raisons sont historiques et liées aux structures des partis, gouvernements et Etats parlementaires. Le salut ne peut venir que de nouvelles politiques dites inventives, permises par des réflexions ou des actions d’organisations de militants ou d’indignés qui bousculeraient les modèles anciens, utilisant les nouveaux modes de communication (réseaux sociaux …) pour bâtir un programme d’éradication de l’inutilité.
Utopie ou réalisme ?
Renvois :
¤ Jean (de) KERVASDOUE, Les prêcheurs de l’apocalypse (Délires écologiques) – FW N°26
¤ Bernard GUERRIEN, L’illusion économique – FW N°27.
¤ Mike DAVIS, Le stade Dubaï du capitalisme – FW N°27.
¤ Maurice DECAILLOT, L’économie équitable – FW N°41.
¤ Marion GUILLOU, Neuf milliards d’hommes à nourrir – FW N°42.
¤ Laurence FONTAINE, Le Marché : histoire d’une conquête sociale – FW N°52.
¤ Alan WEISMAN, Jusqu’où pourrons-nous être trop nombreux ? – FW N°53.
PN