L’instruction en famille est un choix légal, prévu dès la loi de Jules Ferry de 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire. Elle s’effectue sous surveillance et, même si c’est un choix marginal, elle inquiète acteurs et institutions. Les autorités se demandent si le droit de l’enfant à être instruit est bien effectif : elles assurent une vigilance régulière et, d’année en année, resserrent l’encadrement de cette démarche éducative. Les parents se sentent injustement soupçonnés et craignent que le projet qu’ils conduisent avec détermination et enthousiasme soit remis en cause. Les inspecteurs qui les contrôlent, souvent à domicile, disposent de consignes à l’égard de normes scolaires qu’ils connaissent bien. Que les critiques de l’école en viennent jusqu’à son refus déconcerte et inquiète.
L’ouvrage propose une exploration panoramique de cette modalité d’instruction. La première partie s’attache à la situation française, du point de vue législatif et pratique. La deuxième partie fait un bilan des recherches, principalement américaines.
Michèle GUIGUE & Rébecca SIRMONS
L’instruction en famille / Une liberté qui inquiète
L’Harmattan – 2015 – 250 pages
En France, l’école n’est pas obligatoire, c’est sans équivoque. C’est l’éducation de l’enfant qui est obligatoire. Elle peut être donnée soit dans des établissements publics ou privés, soit dans les familles par les parents. Cependant, dans notre Pays, l’instruction en famille [IEF] est une pratique marginale, choisie par une minorité.
Un rappel historique nous explique comment l’Etat devenant le protecteur des enfants on est passé, pour des raisons pratiques voire persuasives, de l’éducation obligatoire au raccourci de l’école obligatoire. Le choix des mots est lourd d’implications. Par le service de l’Education Nationale [EN], l’Etat assure l’obligation d’instruction, mais parallèlement il a mis en place des procédures de contrôle pour encadrer l’IEF : déclaration à la Mairie, plus contrôle de l’inspection académique.
Compte-tenue de certains faits divers la MIVILUDES – Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires – s’est vu attribuée la charge d’étudier ce qu’il en est des enfants instruits à la maison. Ceci montre l’état d’esprit qui entoure d’une manière générale l’IEF ; si bien que de nombreuses familles se sentent injustement soupçonnées et contestent même le principe de ses contrôles.
L’IEF est devenu un mode d’instruction très encadré.
L’IEF en France est un choix légal marginal. Il est important de connaître les raisons de ce choix. A travers les témoignages (parents et associations) on découvre que les motivations sont diverses et enchevêtrées :
= Regards critiques sur l’école,
= Expériences scolaires des parents (mauvais souvenirs),
= Se tenir à l’abri des contraintes de la scolarisation des enfants,
= Réalisation de soi à travers le rôle éducatif à part entière de ses enfants,
= Assurer les meilleures conditions de développement et de réussite,
= Difficultés d’adaptations scolaires de l’enfant,
= Mauvais adaptation de l’école aux besoins particuliers de l’enfant, allant dans certains cas jusqu’au refus de certains enseignants de jouer le jeu de l’accueil de l’enfant différent : tension permanente entre la logique et le rythme scolaires et ceux d’un élève à besoins éducatifs particuliers.
Dans la deuxième partie du livre, les auteures abordent largement les perspectives internationales de l’IEF. De l’autre côté de l’Atlantique, le contexte est différent, à tel point que le lecteur doit accepter un changement de vocabulaire et accepter le homeschooling et les homeschoolers. Les USA est le Pays où ceci a pris racine et s’est développé de façon spectaculaire. Le phénomène concerne environ 2 millions d’enfants.
En France, aucune statistique ne permet de connaître le chiffre exact des enfants concernés. Pour 2011, les chiffres varient de 3 297 (sic) à 6 000, allant jusqu’à 18 818 si l’on inclut les 13 755 inscrits au CNED (Enseignement à distance)
Aux USA, la première génération de homeschoolers est maintenant adulte : on peut observer ce qu’elle est devenue. De nombreux chercheurs se sont penchés sur cette question avec parfois des approches très différentes, selon qu’ils étaient a priori favorable ou défavorable à la démarche.
Il semble que le débat est toujours vif et tourne autour d’une trilogie d’intérêts en conflit : les parents / les enfants / l’Etat. Chacune des parties demande à l’autre d’apporter la preuve qu’elle est la mieux à même d’apporter les réponses les plus adaptées aux enjeux fondamentaux :
- L’épanouissement de l’enfant,
- Son autonomie,
- Son insertion sociale,
- Sa réussite universitaire ou professionnelle,
- L’intérêt de la démocratie, du bien public et de la cohésion sociale.
A titre d’exemple de la nature des arguments échangés, prenons celui de l’incidence financière de l’IEF tant du point de vue familial que du point de vue du budget du système éducatif pour l’Etat. (En France, la dépense moyenne par élève est # 6 200 Euro/an pour un écolier et de 11 000 Euro/an pour un lycéen). Aux Usa, opinion critique « Les écoles étant financées en fonction du nombre d’élèves, les parents qui ne mettent pas leurs enfants à l’école, contribuent à la réduction de leur budget, et sont égoïstes au détriment du bien public. »
Les études ont cherché à connaître de plus près les projets éducatifs et les profils sociodémographiques des familles des homeschoolers. S’il est impossible de décrire la famille – type, il semble que l’on puisse déterminer deux grandes catégories :
¤ Les idéologues pour qui l’école publique ou privée ne peut servir équitablement une population diverses.
¤ Les pédagogues qui veulent pour leurs enfants la pédagogie la mieux adaptée au style d’apprentissage de ceux-ci.
Ceci est théorique et renvoie finalement l’IEF à une question de famille : influence du passé des parents dans leurs choix éducatifs, organisation de la vie familiale, nombre d’enfants, disponibilité des parents, épanouissement personnel des parents, etc.
L’on sait que la socialisation est l’un des piliers majeurs d’une éducation réussie. Cet aspect de l’IEF est abordé par petites touches tout au long de l’ouvrage, notamment à travers les témoignages des parents voire des enfants ayant pratiqué en commun l’IEF. Une mère de famille qui prend très à cœur la socialisation de ses enfants a évoqué la « socialisation négative » que des enfants peuvent vivre à l’école.
Tout un chapitre de l’ouvrage est consacré à « Eduquer et socialiser ». On y découvre que les « familles IEF » ne négligent pas l’importance de la socialisation ni la multiplicité de ses composantes. Dans l’ensemble, les parents trouvent leurs enfants bien socialisés et ont peu d’inquiétude concernant leur intégration à l’âge adulte. Les études relèvent plusieurs facteurs favorables à l’intégration sociale des homeschoolers. Tant d’aspects s’entrelacent qu’il serait prétentieux et hasardeux d’en valoriser un. La popularité d croissante du mouvement de homeschooling peut s’expliquer, notamment, par les preuves vivantes que « ça marche ».
Le contexte français, quant à lui, reste encore largement méconnu.
L’IEF n’échappe pas au phénomène de Mondialisation.
Elle s’inscrit aujourd’hui dans une dynamique internationale où les échanges et les déplacements franchissent allègrement les frontières, et où l’on peut utiliser tous les dispositifs d’enseignement à distance : cours, ouvrages scolaires, méthodes pédagogiques, effet de réseau…
- Voir « MOOCs ou MOX » => FuturWest n°49 / Hiver 2014.
Dans sa conclusion, Michèle Guigue se laisse aller à diverses considérations sur le fonctionnement de la « forteresse » de l’EN qui a en charge les 12,5 millions d’élèves qui ont pris le chemin de l’école, collège, lycée, en cette rentrée scolaire 2015, et ses rapports avec l’IEF qui concerne seulement quelques milliers d’enfants.
D’un côté il y a l’école qui déçoit (les prises de positions en ce sens sont nombreuses), et de l’autre, côté IEF, avec son autonomie, sa liberté d’action malgré les contrôles, qui pourrait « contaminer » la grande maison en attirant de nouvelles populations. On comprend alors le sous-titre du livre « l’IEF, Une liberté qui dérange ».
In fine, est-ce que vécus aux USA pourraient accélérer le mouvement en France et en Europe ?
Renvois :
¤ Travaux de recherches de Futurouest « Jeunesses, éducations, formations 2025 ; impact de l’instauration du chèque scolaire et/ou de l’Allocation Universelle. »
¤ Philippe COULANGEON, Sociologie des pratiques culturelles – FW N°19.
¤ François GARÇON, Le modèle suisse – FW N°33.
¤ Frédéric KAPLAN, La métamorphose des objets – FW N°36.
¤ Christian COGNE, Requiem pour un émeutier (Education) – FW N°37.
¤ Nicolas HERPIN, La sociologie américaine – FW N°42.
¤ Gabriel COHN-BENDIT, Une autre école – FW N°50.
¤ Malene RYDAHL, Heureux comme un Danois – FW N°53.
PQ