Les entreprises chinoises sont parties à la conquête de l’Europe et ont fait leur entrée dans notre paysage, occupant une place grandissante dans l’économie européenne, employant déjà des milliers de salariés. Elles s’adaptent tant bien que mal à notre continent. Comment s’est effectuée cette « offensive » ? Ces entreprises sont-elles de bons employeurs au regard des pratiques occidentales ? Commenta concilier ces dernières avec les recettes qui réussissent en Chine : relations privilégiées, rôle du politique et et pression sociale ? A l’heure du réveil nationaliste, quel accueil est réservé a ces nouveaux venus ? Les auteurs ont travaillé pour ces grandes firmes ? Dans un essai enlevé, ils répondent à ces grandes questions, et à bien d’autres, dépeignant finalement la rencontre dérangeante d’une puissance montante et d’un vieux continent secoue par la crise.
Philippe LE CORRE & Alain SEPULCHRE
L’offensive chinoise en Europe
Fayard– 2015 – 195 pages
A l’heure actuelle, La Chine nouvelle reprend en main sa production pour elle-même et non plus seulement pour ses donneurs d’ordres occidentaux. De fait, trente ans de croissance ont permis l’avènement de champions industriels dont les produits débarquent sur les marchés occidentaux. On passe du « made in China » au « made by China ».
Les économies occidentales, quant à elles, voient peu à peu se refermer leurs débouchés dans l’Empire du Milieu, alors que le pays développe activement ses investissements à l’étranger.
Et c’est l’Europe qui en constitue la cible prioritaire, en raison notamment de la méfiance que la Chine, tant économique que politique et militaire, suscite aux Etats-Unis. La Chine est désormais la première puissance économique mondiale, grâce à une croissance annuelle moyenne de 10% environ entre 1979 et 2012 et de 6.5% encore depuis. Aussi son internationalisation en cours, avec 1250 milliards d’investissements évoqués d’ici à 2025, constitue-t-elle un phénomène majeur pour le monde présent et futur.
Selon l’économiste Alberto FOCHIELLI, la Chine s’emploie ainsi à « infiltrer le bloc des pays occidentaux et à séparer l’Europe des Etats-Unis », en investissant dans « les pays les plus faibles », comme l’Italie, la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Europe de l’Est. Pour d’autres raisons, la Grande-Bretagne n’est pas en reste et semble même en mesure de souffler la vedette à l’Allemagne comme cible première des investisseurs chinois. Cette dernière continue cependant à profiter d’une image véritablement industrielle, renforcée par la capacité allemande à travailler sur le long terme. Et ce contrairement à la France, où prime avant tout une image liée aux activités de la mode et du luxe.
Sur le vieux continent, trois secteurs retiennent d’abord l’intérêt des chinois: tourisme, immobilier et transferts technologiques. Particulièrement friands de pierre, ils convoitent aussi les infrastructures, notamment les ports, ainsi que le secteur de l’énergie y compris nucléaire. Le secteur automobile est également très concerné par leurs appétits d’investissement : rachat de Volvo à Ford par Geely en 2010, participation de Dongfeng au capital de Peugeot.
Mais en Chine, on ne s’exporte pas sans être d’abord devenu un géant national. A ce jour ; les géants chinois affichent pour la plupart moins de 10% de leur chiffre d’affaires à l’international. Ils se sont « fait les dents » sur leur marché domestique, complexe, dur et imprévisible. Les entrepreneurs chinois, s’ils sont peu stratèges, savent saisir les opportunités et exécuter rapidement. Ils sont coutumiers du lancement d’offres nouvelles sans campagne de promotion, voire sans étude de marché préalable : on leur préfère un fonctionnement à l’instinct et la capacité à rectifier le tir rapidement en cas d’erreur.
Face à la concurrence internationale toutefois, les recettes nationales ne suffisent pas. Recherche et développement, innovation, deviennent les nouveaux enjeux de ces champions. De plus les entreprises chinoises, même réputées sur leur sol national, sont pour la plupart mal connues du grand public au dehors. Quant à leurs marques, tout aussi méconnues, rares sont celles jouissant d’une bonne image. En outre, les hommes, comme le pays lui-même, inspirent encore de la défiance aux européens. L’arrogance et la croyance que l’argent peut tout acheter font en effet toujours partie de la panoplie des entrepreneurs chinois. Et l’image internationale du pays elle-même, constitue un handicap plus qu’un atout.
Atout majeur, en revanche, les liens étroits entre les entreprises, qu’elles soient privées ou publiques, et le pouvoir politique. Tout déploiement à l’international est subordonné à l’accord préalable de la puissance publique, d’autant plus que les acteurs chinois ont principalement recours à l’emprunt pour financer leurs emplettes. Dès lors que l’accord des administrations régionales ou nationales est donné, le nerf de la guerre devient disponible auprès des banques chinoises, lesquelles constituent ainsi la pierre angulaire du développement des entreprises à l’international.
Force est toutefois de constater que le monde des affaires, le parti et les administrations sont étroitement liés dans un flou volontaire propice à la corruption. Cela n’est pas sans susciter des tensions grandissantes, dans un pays où l’écart entre les riches et les pauvres va croissant : « les cent personnes les plus riches possèdent 300 milliards de dollars alors que trois cents millions de chinois vient avec moins de 2 dollars par jour ».
Et une fois les actifs achetés, comment se passent les choses à l’étranger ? Sauf exception comme Lenovo (ordinateurs, a racheté la branche PC d’IBM), les entreprises chinoises en Europe restent…chinoises. Les postes d’encadrement sont réservés à leurs ressortissants « stagiaires ». Pour ceux-ci, l’expatriation est une étape obligée dans leur carrière. Ils sont payés à un salaire proche du smic en Europe, complété par un salaire quatre ou cinq fois plus important en Chine, afin d’échapper au mieux aux charges sociales des pays où ils travaillent.
La nouvelle longue marche chinoise a donc pour théâtre les marchés internationaux. Mais pour qu’elle soit couronnée de succès, il faudra aussi réunir d’autres conditions que de stricte compétitivité. Et d’abord, que le régime cesse d’être une énigme aux yeux des Occidentaux. Ensuite, que les cultures professionnelles européenne et chinoise dépassent les incompréhensions qui les empêchent de se synchroniser : d’un côté les règles, le contrat et la responsabilisation individuelle, de l’autre le pragmatisme avec la recherche du compromis, « la voie du milieu », pas forcément rationnelle pour un esprit européen.
Malgré ces différences, l’intérêt bien compris des uns et des autres favorisera le développement des courants d’affaires entre Chine et Europe.
Renvois :
¤ Michel AGLIETTA, La Chine vers la superpuissance – FW N°24.
¤ Denis BOREL, Un empire très céleste (La Chine et l’espace) – FW N°32.
¤ François GODEMENT, Que veut la Chine ? – FW N°46.
ThN